25.

Le lendemain mardi, un homme apporta au marquis d’O la lettre fabriquée par le faussaire de Richelieu. Elle était cachetée par un sceau aux armes de Mayneville, parfaitement imité. François d’O appela son valet de chambre et lui demanda de trouver un gamin sérieux qui porterait la lettre chez M. Salvancy. Ensuite, il ne lui resterait plus qu’à attendre Nicolas Poulain et Olivier Hauteville.

Ce même matin, mais beaucoup plus tôt, le commissaire Chambon se présenta chez M. Salvancy à prime. Ce fut Valier qui lui ouvrit après que M. Chambon eut décliné son identité par le judas. Le commissaire était accompagné de six archers coiffés des courtes bourguignotes du Châtelet et porteurs de mousquet et de pertuisane. À peine entré, M. Chambon laissa deux archers à la porte avant de demander qu’on le conduise auprès du receveur général pour une importante affaire. Valier l’accompagna.

Salvancy, en robe de nuit, déjeunait d’une grosse soupe et de confitures. Il était passé à la selle sur sa chaise percée et sa chambre puait. Chambon avait laissé deux autres archers dans l’escalier et gardé les deux derniers. Valier était entré le premier dans la pièce, comme il avait ordre de le faire quand son maître avait des visiteurs.

Le commissaire fit fermer la porte par un de ses archers qui se plaça devant, comme pour en interdire le passage. Apercevant une autre porte dans la chambre, il fit signe au second archer de s’y rendre. Tous ces mouvements furent faits très rapidement, à la grande surprise du receveur des tailles. Ensuite M. Chambon se présenta comme étant commissaire au Châtelet.

Salvancy marqua sa perplexité en plissant le front, mais l’inquiétude ne l’avait point gagné. Certes, il redoutait l’arrestation mais il savait que tous les commissaires au Châtelet, ou presque, avaient rejoint la sainte union et obéissaient au commissaire Louchart. S’il devait être un jour saisi, ce serait par un officier du roi avec une troupe de gardes françaises ou suisses. C’était d’ailleurs pour cette raison que Valier avait ouvert sans crainte quand il avait vu qu’il s’agissait de gens du Châtelet.

Chambon expliqua alors au receveur qu’il avait appris que deux hommes du nom de Valier et Faizelier vivaient dans sa maison…

À ces mots, Valier pâlit tandis que d’un geste indécis, Salvancy désignait son garde du corps.

— … Ils doivent être entendus pour une incompréhensible affaire de vol, poursuivit Chambon en prenant un air abruti. M. Valier a accusé un lieutenant du prévôt Hardy de lui avoir pris sa bourse. M. Faizelier était son témoin. Il apparaît que ce n’était pas vrai et le lieutenant accusé a demandé une enquête. MM. Valier et Faizelier doivent maintenant s’expliquer devant un procureur.

Salvancy parut abasourdi par ce discours inattendu. Il bredouilla :

— En avez-vous parlé à M. Louchart ? C’est un ami qui peut arranger tout ça…

— Non, monsieur, car il s’agit d’une requête de M. Séguier et M. le chancelier Cheverny est personnellement intervenu dans cette affaire. C’est pour cela que je suis venu avec six archers, mais je suis certain que MM. Valier et Faizelier pourront se justifier. Ils seront de retour avant midi, je vous l’assure.

— Valier, de quoi s’agit-il ? demanda Salvancy d’un ton faussement détaché.

— Je m’en souviens, monsieur… Un homme m’avait pris ma bourse, tout au moins je le croyais… Je suis désolé s’il y a eu une méprise.

— Méprise ! C’est certainement ça ! approuva Chambon en opinant du chef avec une expression bonhomme. M. Fraiche, le procureur du roi, vous interrogera rapidement. Il a hâte de clore cette affaire, et sans M. Séguier, personne ne s’y serait intéressé. Si vous m’accompagnez maintenant, cela permettra de classer rapidement cette histoire. Nous avons des délits bien plus importants et M. Poulain se contentera d’un dédommagement de quelques écus.

Le silence se fit mais personne ne bougea, aussi le commissaire demanda :

— Où est M. Faizelier ?

— En bas ! lâcha Valier à contrecœur.

Il n’avait aucune envie d’aller au Grand-Châtelet où on risquait de l’enfermer.

— Allons le retrouver, mes archers vont vous accompagner, décida le commissaire Chambon.

Valier hésitait encore. Il regarda Salvancy comme pour obtenir un secours mais finalement celui-ci opina d’un signe de tête. Que pouvait-il faire d’autre ?

Le commissaire emmena donc Valier qui le conduisit à Faizelier. Encadrés par les archers, les deux gardes du corps du receveur prirent le chemin du Châtelet.

En chemin, les deux spadassins se concertèrent à mi-voix. Avaient-ils intérêt à s’enfuir ? C’était le souhait de Faizelier, mais Valier lui souffla que, si on les emprisonnait, la Ligue les tirerait de ce mauvais pas avant ce soir. Chacun savait que le sergent Michelet et le commissaire Louchart faisaient la loi au Châtelet. Quand Guise serait à Paris, Louchart serait même nommé lieutenant civil, lui affirma-t-il.

Non loin de la rue Saint-Martin, Chambon murmura quelques mots à un de ses archers qui quitta le groupe pour prévenir Nicolas Poulain que l’arrestation était faite. Les deux gardes du corps n’y prêtèrent pas attention.

Arrivé au Grand-Châtelet, le commissaire passa par l’entrée réservée aux prisonniers. Il fit aussitôt enfermer les deux hommes dans une salle et quérir un geôlier chargé de leur mettre les fers. Comprenant qu’ils étaient tombés dans un piège, ceux-ci se débattirent, mais en vain.

Une fois les fers aux pieds et aux mains, ils repartirent avec M. Chambon et ses archers jusqu’à la Conciergerie. Construit par Saint-Louis, cet édifice avait été le premier palais des rois de France avant d’être abandonné pour le Louvre. Ses salles obscures étaient maintenant transformées en prison dont le concierge – ou bailli – était le gouverneur. C’est son titre qui avait donné le nom à l’endroit.

Alors que le Grand-Châtelet était la prison du prévôt et vicomte de Paris, c’est-à-dire celle d’une justice prévôtale ou présidiale, la Conciergerie accueillait en principe les détenus qui devaient être jugés par les cours souveraines[62] donc au niveau de juridiction supérieur. Chambon savait que, contrairement au Châtelet, peu de parlementaires penchaient pour la sainte union et que ses prisonniers seraient serrés dans une geôle d’où personne ne pourrait les libérer. Il expliqua d’ailleurs au greffier, qui le nota dans le registre d’écrou, que les deux hommes devaient être enchaînés et ne recevoir aucune visite.

Quant au fait qu’un commissaire au Châtelet conduise des détenus à la Conciergerie, cela n’étonnait nullement les geôliers car il n’était pas rare que des prisonniers de l’une des juridictions soient transférés dans la prison de l’autre, la Conciergerie ayant (relativement) un meilleur confort et une meilleure réputation.

Après le départ de ses deux hommes de main, Salvancy ne sut que faire. Devait-il prévenir Louchart ? Ce commissaire Chambon lui était apparu comme un individu falot et sans envergure, mais il ne pouvait rejeter la possibilité que ses hommes ne confient trop de choses au procureur quand ils seraient interrogés.

Devait-il fuir ? Ou au moins quitter sa maison quelque temps pour se cacher ?

La Chapelle ne le voudrait pas chez lui, ni son protecteur. Ce serait trop risqué pour eux. Peut-être Louchart, ou Le Clerc… mais ils n’avaient guère de place dans leur petite maison. Il devrait coucher dans leur lit, et leur femme protesterait[63]. Il décida de sortir les papiers importants de son coffre de fer et de brûler tout ce qui était compromettant.

Il venait de finir de se préparer avec l’aide de son valet de chambre qui ranimait le feu quand un enfant apporta un pli qu’il laissa à une servante par le judas (Salvancy avait entre-temps interdit qu’on ouvre la porte d’entrée).

C’était une lettre au cachet de M. de Mayneville.

Il l’ouvrit fébrilement. La missive ne contenait que quelques mots. Sa maison allait être fouillée sur ordre de M. de Bellièvre. Pour éviter qu’on ne l’arrête, cinq gentilshommes de M. de Mayenne allaient se présenter chez lui pour le protéger et le conduire à l’hôtel de Guise. Qu’il prépare tous les papiers importants en sa possession pour les emporter.

Salvancy était tellement inquiet après l’arrestation de ses deux gardes du corps qu’il ne perçut pas l’incohérence de la démarche de Mayneville. Pourquoi n’était-il pas venu lui-même ? Pourquoi ne pas avoir simplement envoyé des gens de M. de La Chapelle pour l’aider à transporter ses affaires ? Pourquoi même ne pas lui avoir écrit de se rendre directement à l’hôtel de Guise avec ses domestiques ? Terrifié par la perspective de finir comme ce commis qu’il avait vu pendu, rue des Arcis, Salvancy ne pensa à rien de tout cela.

Il rassembla registres, quittances et bordereaux dans deux gibecières qu’il s’était fait apporter. Restaient encore deux épais registres. Ne devrait-il pas les brûler ? Jusqu’à présent, il les avait conservés comme une protection puisqu’ils prouvaient qu’il n’était pas l’instigateur de la fraude. Finalement, il décida de les détruire et jeta le premier dans le foyer.

Mais le registre était très épais et, avec sa couverture de cuir, il ne brûlait pas. Il le ressortit du foyer et commença à en arracher les pages quand son valet de chambre gratta à la porte. S’interrompant, il le fit entrer.

— Monsieur, il y a là cinq gentilshommes qui se disent envoyés par M. de Mayneville…

— Je sais, faites-les monter tout de suite !

Il abandonna le feu et arrangea un peu sa tenue avant de redresser son bonnet noir. Il devait paraître comme un honnête bourgeois auprès de ces gentilshommes.

Ils entrèrent. Le premier avait un visage sévère sous une chevelure coupée court et une barbe noire taillée en pointe comme la portait le duc de Guise. Son regard de braise était celui d’un homme à qui on devait obéir. Sous sa cape noire doublée et finement brodée, on apercevait un pourpoint de soie noire et des hauts-de-chausses de velours. Ses bottes montaient à mi-cuisse.

Celui qui le suivait ne pouvait être plus différent. Un physique de soudard, avec corselet de cuivre bosselé, toison en broussaille, hautes bottes râpées aux éperons de fer. Si le premier avait une épée à la garde en arceaux, le second portait une brette de côté, en acier à poignée de bronze. Le troisième était un géant blond avec une épaisse barbe et des cheveux tressés dégageant une nuque rasée. Il tenait un immense sabre. Salvancy n’avait jamais vu un pareil individu, sauf peut-être lors de la venue de l’ambassade de Pologne en 73. Enfin suivait un jeune homme à la fine barbe en collier et, derrière lui, un homme plus discret, d’une trentaine d’années à l’allure de domestique. Les deux derniers aussi portaient épée.

— Monsieur de Cubsac, monsieur Kornowski, et vous Charles, laissez-nous, et occupez-vous du valet de chambre, ordonna celui qui était entré le premier et qui apparemment commandait la troupe.

Aussitôt, trois des hommes ressortirent en bousculant le domestique. Salvancy resta un instant confondu. Puis il se dit que le chef ne voulait pas que ses serviteurs assistent à leur entretien, forcément confidentiel.

— Vous avez bien fait d’être venus à cinq, fit-il. Mes gardes du corps ont été arrêtés et je crains à tout moment l’arrivée du lieutenant civil. Ai-je le temps de finir de brûler ces papiers avant de partir ?

Il montra la cheminée où le gros registre grésillait faiblement. Le second était à côté, intact.

À peine avait-il dit ces mots que le jeune homme se jeta sur les registres pour les pousser hors du feu. Cette fois, Salvancy resta interloqué, puis comprenant que quelque chose n’allait pas, son estomac se serra, la peur l’envahit, et il fit deux pas vers ses deux sacoches posées sur le lit pour tenter de se les approprier.

— Nous allons nous occuper de tout, l’arrêta le chef de la bande avec un geste de la main. Allez donc vous asseoir sur votre lit, monsieur Salvancy, et attendez que je vous interroge.

Comme le contrôleur restait figé, celui qui venait de parler fit un pas vers lui et le souffleta trois fois avec une violence telle que le receveur tomba au sol et que sa tête heurta le pied de son lit, provoquant une profonde entaille.

— Obéissez !

Salvancy se releva, les yeux pleins de larmes et le crâne ensanglanté, pour s’asseoir sur le bord du lit. Qui étaient ces brutes ? Des gens du roi ? Des hommes de Mayenne ? Il savait que le duc était réputé pour sa brutalité.

On l’aura deviné sans peine, l’homme au pourpoint de soie noire était le marquis d’O et le jeune homme était Olivier. Celui-ci s’approcha du lit et prit les deux gibecières qu’il porta sur la grande table. Il les vida sur le tapis qui la couvrait, puis se rendit à la fenêtre qui donnait sur la rue, l’ouvrit, et fit un signe convenu à Nicolas Poulain qui attendait en bas.

— Qui… qui êtes-vous ? bredouilla le contrôleur des tailles en le regardant faire sans comprendre.

— La justice, monsieur Salvancy ! répondit O tranquillement. Maintenant, taisez-vous. Vous parlerez si je vous le demande.

— Il y a des gens dans ma maison, des gardes, ils vont donner l’alerte ! glapit Salvancy qui crut pouvoir lui faire peur.

— Ne vous inquiétez pas. Mes gens ont pour ordre de leur couper la gorge… Comme vous avez agi avec M. Hauteville, ajouta-t-il d’un ton sinistre en dégainant sa main gauche.

— C’est faux ! hurla Salvancy, terrorisé à l’idée qu’on l’accuse de ce crime.

Le marquis d’O lui attrapa les cheveux et tira sa tête en arrière, puis passa le fil de la lame sur son cou, faisant couler quelques gouttes de sang sur son col blanc, déjà taché par celui qui coulait de sa blessure à la tête.

Salvancy ouvrit la bouche pour hurler mais n’y parvint pas tant l’émotion le submergeait.

— Criez, et je vous coupe la langue avant de vous égorger comme un cochon ! gronda O.

Comme un écho, on entendit un hurlement dans la pièce d’à côté.

— Ma femme ! bredouilla le receveur.

— Pour l’instant, il n’arrivera rien à vos gens, fit O. Mais tentez de vous rebeller ou de nous tromper et nous ne laisserons personne de vivant ici. Est-ce clair ?

Salvancy déglutit en hochant de la tête.

— Monsieur Hauteville, pouvez-vous examiner le contenu de ces sacoches ? demanda encore O en rengainant la lame.

À ce nom, Salvancy comprit tout et se sut perdu.

Olivier était revenu à la table et avait commencé à regrouper les documents par piles. Une des gibecières contenait les fameuses quittances, mélangées à une centaine d’écus d’or et à des bijoux : un collier de perles, deux bagues, un bracelet en or. La seconde sacoche ne contenait que des papiers et deux registres.

— Tout est là, fit Olivier, après avoir rapidement examiné les quittances.

Au vu des sommes inscrites, il y en avait pour près d’un million de livres. O recula d’un pas et glissa sa main gauche dans son fourreau, sous son manteau.

— Monsieur Salvancy, vous êtes devenu raisonnable. Allez à cette table et commencez à signer au dos toutes ces quittances. Je vois qu’il y a là ce qu’il faut pour écrire.

Salvancy jeta un regard rapide à la table, aux quittances, puis aux plumes d’oie et aux encriers. Ainsi ces gens étaient venus pour ça ! Pour le rapiner !

Ils n’allaient peut-être pas le tuer, et encore moins l’arrêter, se rassura-t-il. Il décida d’obéir sans barguigner. Ces sots ne savaient pas que son cachet était nécessaire pour que les quittances puissent être payées. Il pouvait signer sans crainte, les quittances ne vaudraient rien ! Un bref éclair de triomphe traversa son visage qui n’échappa pas à O.

— J’obéirai, monsieur, mais je vous supplie de me laisser en vie, ainsi que ma femme, fit-il, apparemment dompté.

Que cachait-il ? s’interrogea le marquis, en dissimulant son trouble.

Salvancy se leva lentement et se dirigea vers la table. En passant devant Olivier, il lui dit d’une voix implorante :

— Je n’ai pas tué votre père. Je peux le jurer sur les Évangiles.

Olivier ne répondit pas, l’heure du châtiment n’avait pas sonné.

Le receveur s’assit, prit une plume qu’il tailla rapidement et commença à parapher les papiers sous la surveillance du marquis d’O. Pendant ce temps, Olivier examinait le contenu de la seconde sacoche. Ce n’étaient que des dossiers attachés ensemble par des cordelettes. Beaucoup étaient des papiers familiaux et notariaux, il y avait des rentes sur l’Hôtel de Ville, l’acte de propriété d’une terre, puis un mémoire d’une dizaine de feuillets sur lequel il reconnut l’écriture de son père.

Sur la première page était écrit :

Mémoire pour M. Claude Marteau, contrôleur général des tailles à la surintendance de M. de Bellièvre.

Ainsi, il ne s’était pas trompé, se dit-il en commençant à le parcourir.

Son père n’avait pas découvert tout ce que lui avait trouvé, mais il avait repéré que les plus fortes baisses des tailles étaient faites dans les subdélégations et paroisses dont le receveur était Jehan Salvancy. Il avait aussi vu que ces diminutions de tailles étaient dues à des anoblissements anormalement fréquents et il suggérait un contrôle de ceux-ci.

Il glissa le mémoire dans son manteau, avant de revenir vers la cheminée, pour examiner les registres qui auraient dû être brûlés. Il découvrit en les feuilletant que c’étaient les véritables registres des paroisses collectées par Salvancy. Sur ceux-ci, les gens prétendument anoblis étaient bien indiqués comme roturiers avec le montant de la taille qu’ils avaient payée.

Il avait désormais toutes les preuves de la machination.

Il revint vers Salvancy qui signait toujours. À ce moment, on gratta à la porte qui s’entrouvrit. C’était M. de Cubsac.

— Monsieur, tous ceux qui se trouvaient dans la maison ont été rassemblés dans une chambre. Il y a eu quelques cris, mais on y a mis bon ordre.

— Très bien, nous n’en avons plus pour longtemps. En partant, vous fermerez la chambre à clef derrière vous.

Salvancy paraphait les dernières quittances. Quand il eut terminé, Olivier sortit le mémoire de son père et le lui mit sur les yeux :

— Comment l’avez-vous eu ?

— C’est M. Marteau qui me l’a donné, bredouilla Salvancy.

— C’est M. Marteau que mon père a reçu, n’est-ce pas, le jour où on l’a assassiné ?

— Oui. Votre père lui avait confié qu’il terminait un mémoire et qu’il allait le lui porter. Dans ce mémoire, il avait découvert que c’est moi qui préparais les faux bordereaux et les faux registres. Mais c’est M. Marteau qui avait tout organisé. Craignant que le mémoire ne soit lu par quelqu’un d’autre, il est venu le chercher lui-même.

— Pourquoi lui ?

— J’avais découvert il y a quelques années que certains fraudaient les tailles en se faisant passer pour nobles. Ils utilisaient de fausses lettres d’anoblissement avec des sceaux qu’ils avaient fait faire par un faussaire, M. Larondelle. J’ai raconté la fraude à M. Marteau. Nous nous connaissions depuis des années car c’est lui qui m’avait prêté l’argent pour acheter ma charge. C’est lui qui a eu l’idée des fausses lettres de provision présentées à l’élu chargé de vérifier les facultés des taillables à partir de rôles établis par le bureau des finances. C’est lui qui a mis au point le système de doubles registres. Après, je n’ai pas pu reculer, pleurnicha le receveur.

— Qui étaient ceux qui l’accompagnaient ?

— Mes gardes du corps. Ils ne sont pas là, ce matin, un commissaire du Châtelet est venu les chercher pour les interroger.

— Qui a tué mon père, ma gouvernante et ma servante ? demanda encore Olivier d’une voix blanche.

— Valier, tout seul. Il me l’a dit. Il a aussi volé un peu d’argent et une clef. J’ai caché la clef, mais elle a disparu. Quant à M. Marteau, il m’avait donné le mémoire afin que j’étudie comment votre père avait procédé pour découvrir la vérité. Il voulait améliorer la façon de détourner les tailles.

Salvancy parlait maintenant sans qu’on le force. Il était prêt à tout dire, et plus encore. Il savait qu’il n’avait plus longtemps à vivre et il regrettait réellement de s’être laissé entraîner.

Le visage fermé, O tendit sa main gauche à Olivier, mais d’un geste, le jeune homme refusa de prendre la lame. Il fit quelques pas dans la chambre, les yeux dans le vague.

— Je vais appeler Dimitri, proposa doucement O qui crut que le jeune clerc était incapable de tuer de sang-froid. Il a l’habitude et il lui coupera la gorge très proprement.

— Je ne peux pas, monsieur le marquis ! Je ne peux pas ! lui répondit Olivier en se retournant. Le tuer ne me rendra pas mon père !

Il s’adressa au contrôleur des tailles :

— Vous allez écrire une confession complète, monsieur Salvancy, expliquant que M. Marteau, M. Valier et M. Faizelier ont tué mon père, et dans quelles circonstances. En échange, je vous laisse la vie. Mais, dès ce soir, j’aurai prévenu M. Séguier et M. de Bellièvre. Si vous êtes encore là, vous serez arrêté et jeté dans un cachot. Votre châtiment sera alors effroyable. Vous aurez donc le temps de fuir, mais vous et votre femme deviendrez des parias, des miséreux sans maison, vivant de la charité. Peut-être aurez-vous le temps de vous repentir et, en priant Notre Seigneur, peut-être vous pardonnera-t-il.

Il se tourna vers O.

— Dès qu’il aura écrit ses aveux, je l’attacherai avec le cordon du rideau, décida-t-il. Valier et Faizelier, eux, subiront la peine des assassins. Quant à M. Marteau, je m’en charge.

Les rapines du Duc de Guise
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